En pointant du doigt les lacunes de l’élève français en matière de culture financière, la Banque de France ne s’imaginait sûrement pas ouvrir la boîte de Pandore il y a de cela quelques années, en 2021.

Il faut dire que, culturellement, parler d’argent en France est assez complexe, et pour le coup très réducteur. On a toujours l’impression que les gens en ont trop, ou alors pas assez. Il n’y a jamais de juste milieu.

Alors, quand une étude commanditée par Allianz relance le sujet à l’aide d’une bombe qui vient poser des chiffres peu flatteurs sur le malaise, on obtient la confirmation que la thématique entière de l’éducation financière est effectivement très sensible ici en France.

Car selon l’assureur Allemand, près de 25% de la population hexagonale « n'a pas le niveau de culture financière suffisant pour prendre des décisions éclairées ». 

En non langue de bois, cela signifie qu’un français sur 4 fait n’importe quoi (ou rien) avec son argent.

C’en est donc presque drôle quand, à peine quelques jours plus tôt avant la parution de l’étude, une autre information venait faire trembler le paysage économique français : le Livret A et le Livret de développement durable et solidaire (LDDS) ont tous les deux explosé leur record en matière d’encours cumulé, ce dernier culminant à 547,4 milliards d'euros.

Une situation qui a immédiatement fait se soulever la question qui tue : les français épargnent-ils trop ?

Car si nous économisons bel et bien à tout va, force est de constater qu’au niveau national, nous le faisons pas de la meilleure façon possible, et ça, c’est pour beaucoup dû à une question d’éducation financière.

Parler d'argent est-il tabou ?

Il existe une vidéo, assez lunaire dans un contexte non-Anglo-Saxon, où Kevin O'Leary (homme d’affaire et membre de l’émission Shark Tank / Dragon’s Den) explique clairement et sans aucune effusion de sueur comment discuter tranquillement de son salaire avec ses collègues, afin d’aider tout le monde à se tirer vers le haut :

En France, cette vidéo ne serait pas techniquement impossible, mais il faudrait user de pas mal de mises en garde pour introduire un sujet aussi perturbateur qu’un enfant de 8 ans laissé seul dans un magasin de jouets.

Pourtant, cela n’empêche pas certains d’essayer. Depuis quelques années, il existe une tendance sur TikTok (et autres) basée sur des micro-trottoirs ““““à l’improviste””””, où l’idée est d’interroger des passants sur leur salaire : et forcément, les réponses sont toujours enrobées d’une couche palpable, inévitable et attendrissante de bon gros malaise. Un peu comme si on demandait à ces pauvres cobayes de révéler leurs pires secrets face à la caméra.

Même son de cloche quand la démarche devient plus scientifique. D'après une étude de l'IFOP, 78% des français considèrent qu'il est "mal vu" d'être riche. Ambiance.

Donc, oui, culturellement, le français a du mal à parler d’argent. 
Du moins, du sien.

Ainsi, selon différents sociologues -dont Janine Mossuz-Lavau-, ce blocage à l’idée de parler publiquement de flouze aurait trois origines, toutes historiques : le passé politique du pays (coucou le communisme), la tradition catholique et les quelques restes de notre culture paysanne qui subsistent.

Mais cela n’explique pas pourquoi le mal persiste dans les temps modernes, pourquoi ce rejet n’est pas identifié comme un problème, et pourquoi il s’avère dangereux pour l’épanouissement économique des classes les moins privilégiées.

Il faut donc creuser davantage, au-delà des ressentiments culturels et historiques.

De DiCaprio à Jérôme Kerviel

D’un côté, tout le monde (dont nous) crie sur tous les toits qu’un Livret A ne devrait servir que pour garder au chaud son épargne de précaution.

De l’autre, on apprend que les Français ne misent principalement que sur ce fameux Livret A pour épargner.

Toutefois, ce décalage n’est pas forcément lié à un manque de connaissance pur, mais plutôt à une très forte appréhension face aux solutions complémentaires, la faute à leur absence (souvent volontaire) de transparence, d’ouverture et d’accessibilité.

Mêlez tout cela à une image de la finance -et par extension des produits financiers- très, très peu reluisante (et souvent à juste titre), et vous obtenez une anxiété générationnelle et surtout sociale, qui vient paralyser ceux qui paradoxalement, ont le plus besoin de connaissances financières.

De la crise des subprimes, en passant par les traders, les milliardaires, le sauvetage des banques, certains discours politiques… Tout ce qui touche à la finance est perçu dans un cadre très privilégié, très “costume trois pièces à la Défense et rails de coke en citant du Jordan Belfort”, ce qui crée des implications à différents niveaux, qu’ils soient pratiques ou même éducatifs.

Cette vision, où le grand public n’a pas lieu d’être, vient déterminer la place de chacun, avant même toute ambition. Ainsi, les plus aisés jouissent d’une éducation financière par défaut, quand les moins fortunés n’en voient pas l’utilité : il ne s’agit pas de leur monde.

Et quand certains baroudeurs décident tout de même de s’aventurer loin des clichés et d’attaquer le sujet, ils sont accueillis par une complexité artificielle souvent créée pour les tenir à l’écart. Sans éducation, pas de compréhension, et donc pas d’accès à l’émancipation.

Un bon exemple se retrouve dans l’étude d’Allianz cité un peu plus tôt : des concepts comme l'inflation, les taux d'intérêt, les critères ESG ou les ETF restent globalement non maîtrisés par une importante partie de la population, rendant leur épanouissement très compliqué.

Ce qui, au final, ne fait que maintenir au chaud les inégalités.

Le manque d'éducation financière maintient en place les inégalités

Car voilà, si on demandait à ces 25% de français à la faible culture financière pourquoi ils se tiennent à l’écart de toute pédagogie économique, la plupart répondraient qu’ils n’ont simplement pas besoin de maîtriser de tels concepts. Étant donné qu’il s’agit d’éléments qui n’ont pas d’impact dans leur vie de tous les jours, qui ne concernent que les spécialistes, que ceux qui “ont de l’argent”, pourquoi les intégrer ?

Le problème de l’éducation financière est ainsi davantage une problématique de sensibilisation que de conversion pure et dure.

C’est arriver à prouver, montrer et diffuser deux vérités :

  • Investir, ce n’est pas forcément soutenir la finance ultralibérale qui se goinfre de dividendes et souhaite faire bosser des enfants en usine pour booster la croissance dans un monde qui prend feu.
  • Investir, c’est non seulement possible, mais surtout nécessaire pour tous, quels que soient ses revenus, sa capacité d’épargne ou son capital : c’est un vecteur d’émancipation indispensable qui possède un poids économique, mais aussi social, politique et environnemental conséquent. S’en passer, c’est donc révoquer ce droit (et le laisser à d’autres).

L’objectif ultime n’est donc pas d’apprendre aux français ce qu’est un effet de levier, mais plutôt de leur montrer le pouvoir qu’à leur épargne, et comment ils peuvent l’utiliser pour améliorer leur situation, soutenir les causes qui leur tiennent à coeur, ou sécuriser leur avenir ou celui de leurs enfants.

Le fait est, ne pas utiliser son pouvoir financier, c’est donc effectivement le laisser aux autres. Voilà pourquoi, en principe, le monde de la finance a réussi à se créer une sorte de microcosme imperméable à toute intrusion extérieure, un entre-soi élitiste permettant à ceux qui tiennent les rênes de les garder indéfiniment. Sans l’ombre d’une menace.

Et contrairement aux idées reçues, les exemples d’appropriation forcée de l’épargne publique sont très nombreux.

Ici, nous avons par exemple beaucoup parlé de la mainmise du secteur pétrolier sur les fonds de pension britanniques, ou, comment des géants des énergies fossiles se retrouvent grassement financés par l’argent servant à assurer les retraites de la population.

Puis il y a les banques, qui elles aussi utilisent sans sourciller l’argent au sein des comptes courants pour s’amuser au sein des marchés financiers, ce qui génère un bilan écologique catastrophique.

Néanmoins, il est possible - pour tout le monde - de s'extraire de ce cheminement, de cette spirale infernale : il suffit de reprendre le contrôle.

Dicter ses règles, aligner son pouvoir économique sur ses valeurs et ses convictions, mettre de côté et faire fructifier son épargne via des produits plus performants que les livrets, découvrir de nouvelles solutions qui offrent davantage de flexibilité et rendent possible de nouveaux projets de vie… La libération peut vraiment être totale.

Mais pour cela, il faut forcément s’éduquer.

Une mobilisation totale pour rééquilibrer le rapport de force

Quand Forbes publiait une tribune pour défendre l’idée de “cours d’investissement” à l’école publique, forcément, la réaction d’une partie de la population a été… vive.

À leur décharge, il faut dire que toutes les cases étaient cochées : une publication très ancrée à droite, qui prône le laissez-faire, et le fait à base de sous entendus qui laissent penser que la motivation principale n’était pas d’aider les nouvelles générations à prendre conscience de l’impact de leur argent, mais plutôt de former une armée de futurs loups de Wall Street… dès le CM2.

Du coup, la surprise fut totale quand l’idée s’est matérialisée via une initiative venant cette fois de la Banque de France. Le but ? Proposer des cours d’éducation financière à des élèves de 5eme), et là, les retours ont tout de suite changé de ton, passant de l’appréhension à l'optimisme, et même l’impatience.

Cette dualité, qui peut sembler un chouïa paradoxale, révèle surtout l’importance du contexte, de l’état d’esprit derrière toute démarche.

La finalité est la même, mais l’intention est différente.

Car entre la volonté d’élever ceux qui sont continuellement rabaissés et celle d’envoyer des milliardaires sur Mars, il y a plus qu’un monde, il y a une galaxie.

Cette ambiguïté, toujours dans la thématique du paradoxe, les plus jeunes l’ont bien identifiée. Au point où ils ont déjà parfaitement intégré la nécessité de dédramatiser l’argent pour mieux l’appréhender, et mieux l’utiliser, en contradiction totale avec les générations les plus anciennes.

On l’a vu notamment via la préparation de la retraite chez les Gen Z, qui s’est décorrélée de tout interventionnisme de l’État pour devenir un sujet personnel certes, mais pas non plus individualiste.

Peu à peu, l’argent (re)trouve ainsi son sens, et se voit utilisé pour sécuriser, planifier mais aussi défendre ses idées, sa vision du monde. Par une capitalisation éthique, par de l’impact, par une ambition écologique et sociale.

Tous éduqués

Yep, le mouvement est donc clairement en marche.

Et d’ailleurs, ce n’est même plus un mouvement, c’est plutôt un raz-de-marée.

Car sans attendre l’école, des newsletters, des médias, des entreprises, des pages et comptes sur les réseaux sociaux, des podcasts, des formations, des livres ou des émissions… des milliers de créateurs retroussent quotidiennement leurs manches pour proposer du contenu pédagogique sur l’éducation financière, et sous tous les formats imaginables.

Souvent, les communautés sont même spécialisées pour générer plus d’effet. On l’a par exemple vu avec les femmes, qui restent aujourd’hui les premières victimes de la violence économique, mais cela existe également pour certaines catégories d'âge, certains corps de métiers, certaines tranches de revenus…

Donc, oui, pour de nombreuses raisons, le sujet financier a toujours été un sujet sensible à aborder en France, à un tel point qu’il fut, pendant des décennies, accaparé par une seule catégorie sociale, créant ainsi de nombreux clichés qui paradoxalement l’ont rendu encore moins accessible. Et si doucement mais sûrement une réponse est en train de naître du côté gouvernemental (même si nous sommes encore loin, très loin des programmes de nos voisins Européens), un changement de paradigme a lieu en ce moment même, porté par des individus qui ont décidé par eux même de diffuser la connaissance, sans attendre.

Et étant donné que cette connaissance porte un poids fondamental dans l’émancipation de toute une catégorie de la population, cette mobilisation pourrait bien être le point de départ d’un rattrapage bien nécessaire pour l’avenir économique des français.