« On va cotiser à balle pour les autres, et quand ce sera notre tour, il n’y aura plus rien. Autant claquer notre thune maintenant plutôt que participer à un système qui nous plantera »

Les mots sont durs, mais représentatifs.

Ils viennent de Mehdi, interrogé pour un article du Parisien, et visiblement désabusé par l’état actuel du système de retraite en France.

Pourtant Mehdi n’est ni étudiant, ni membre de la Gen Z. 

En fait, il a 32 ans et travaille déjà en tant que plombier à Montpellier. Mais comme beaucoup d’autres, la vision cumulée du recul de l'âge de départ et la percée de l’inflation l’a rendu désabusé, défaitiste. Au point de ne plus vraiment croire à la capacité de l’État à subvenir aux besoins des cotisants actuels.

Ce désenchantement, il est aussi porté par les plus jeunes, comme Antoine, à peine diplômé, et livrant un point de vue particulièrement acerbe dans un témoignage pour le Figaro

« Plus aucun jeune de notre âge ne croit sérieusement que l'État leur versera un jour une pension suffisante pour vivre »

Et là, la vraie thématique est enfin posée. Car le problème n’est pas vraiment l’accès à la retraite - sans effondrement improbable, le système risque quand même de tenir debout - mais plutôt ses bénéfices. L’État paie, certes, mais pas assez.

Pourtant, on ne parle même pas de cupidité, mais simplement de bénéficier d’une retraite “suffisante”, permettant de vivre décemment.

De ce fait, cotiser 43 ans pour toucher des clopinettes à un an et demi de l’espérance de vie en bonne santé est de plus en plus perçu comme une arnaque, un plan sans avenir.

Alors pour contrer la douille, toute une génération est d’ores et déjà en train de se préparer.

La retraite n’existe plus

En réalité, c’est davantage la notion même de retraite qu’il faudrait redéfinir, ou plutôt recontextualiser, pour l’intégrer dans le cheminement de pensée des nouvelles générations.

Globalement, la retraite se décorrèle de plus en plus d’un statut figé pour mieux adopter une définition plus ouverte, représentant plutôt un nouveau départ plutôt qu’une ligne d’arrivée.

Ainsi, quand 40% des membres de la Gen Z affirment vouloir prendre leur retraite à 50 ans (Bunk), il faut considérer cette donnée comme une ambition ouvertement affichée : être en mesure, à 50 ans, de ne plus dépendre d’un salaire pour vivre. D’avoir suffisamment “réussi” pour ne plus être forcé à tirer sur la corde jusqu’à ses 64 ou 67 ans.

Cela n’en reste pas moins hyper ambitieux, mais au moins, l’éclairage permet de mieux saisir ce décalage d’état d’esprit dans la vision du travail entre plusieurs générations.

Le fait est, au-delà même de l'appât du gain, ce qui ressort vraiment des études et des témoignages, c’est surtout cette propension à vouloir profiter “tout de suite” de sa vie. Ne plus avoir cette carotte de la retraite au loin, cet objectif à atteindre pour enfin profiter. L’idée est de travailler pour soi, pour l’instant présent, et non en vue d’une hypothétique accalmie dans plusieurs décennies.

C’est un sentiment qui se forge souvent par l’observation. Principalement des parents, que les plus jeunes ont vu trimer -voire pire- pendant leur adolescence, parfois sans récompense à la clé : 

« Quand la retraite était à 60 ans, je pouvais encore espérer être en vie jusque-là. En quelques années, on est passé de 60 à 64 piges – probablement 67 si je veux un taux plein – sans comprendre quoi que ce soit, sans qu’on ne puisse rien dire. Mais dans ma famille, une femme qui tient jusqu’à 67 ans, ça n’existe pas » explique par exemple Lucie au Parisien, dont la mère, la tante et la grand-mère sont décédées d’un cancer du sein… avant leur 60 ans.

La solution paraît donc évidente : puisque l’on ne sait pas si on aura droit à une retraite et si on sera en mesure d’en profiter, alors il est nécessaire de se “désolidariser” des mécanismes habituels, et se forger sa propre retraite, sur mesure.

Sans dépendre de personne.

Quête de liberté financière et détachement du système par répartition

Si les nouvelles générations ne croient plus en la retraite d’État, c’est aussi parce qu’elles l’ont vu se remodeler, se redéfinir, année après année, à chaque fois dans une optique de serrage de ceinture.

Avec 5 réformes en 20 ans, l'instabilité du système n’est plus vraiment un secret, au point où la vérité d’aujourd’hui sera difficilement celle de demain. Difficile donc de se projeter sereinement quand, au cours de sa vie, on est amené à naviguer à vue, sans anticipation, sans certitude sur le futur.

Une situation qui  crée forcément de l’appréhension en masse, et pousse à trouver des solutions alternatives, plus stables ou au moins, davantage contrôlables sur un plan purement personnel. 

« À ce rythme, on se dit que ça va continuer à bouger, et que le temps qu’on arrive à la retraite, le départ sera passé à 70 ans, voire 75, vu la tendance actuelle »

Pas le choix donc, pour se préparer, il faut réussir à (re)prendre en main sa retraite.

Et cela passe inévitablement par de l’acquisition de capital.

Le plus vite possible.

L’indépendance financière en objectif

De Youtube à Instagram en passant par Tik Tok, sans oublier les formats plus traditionnels comme les newsletters ou les formations, aujourd’hui, les contenus pédagogiques axés sur le développement d’une culture financière sont partout. Et de plus en plus, ils visent et ciblent principalement les plus jeunes, les aidant à consolider leur résilience économique.

Une stratégie qui fonctionne du feu de dieu : jamais les jeunes générations n’ont autant épargné, investi ou planifié leur budget. 

Selon Forbes, plus de la moitié d’entre eux possèdent ou souhaitent souscrire à des produits d’investissement, bien au-delà de la moyenne nationale.

Et si les crypto-monnaies trustent une place de premier choix, les Gen Z ont particulièrement bien saisi les subtilités du monde financier puisqu’ils misent déjà sur la diversification pour développer leur épargne.

Ainsi, en bourse, les moins de 26 ans ont déjà dépassé en nombre les millenials, représentant 10% des investisseurs individuels contre 7% pour la génération Y. 

Sur l’assurance vie, le constat est moins flatteur, mais les données sont en constante évolution : 57% des 18-24 pensent en effet qu’il est pertinent, à leur âge, de commencer à investir sur ce produit.

Dans son (petit) coin, même le PER est lui aussi vu comme une solution. 

En plein boom sur ces dernières années, sa popularité est par exemple grandissante chez les étudiants, au point où 59% d’entre eux souhaitent ouvrir un contrat pour préparer leur retraite (Baromètre 2022 de l’Épargne en France et en Régions). 

C’est 24 points de plus que la moyenne des français.

Réparer les pots cassés

Aujourd’hui donc, la retraite se façonne, elle se crée en amont, elle se dissocie de la logique de pilotage automatique à travers les cotisations traditionnelles. Elle est devenue active plutôt que passive.

En conséquence, le discrédit actuel porté par les jeunes générations sur le système de retraite est avant tout le produit d’une nouvelle façon de considérer plusieurs choses : la relation au travail, les bénéfices d’une carrière longue, l’émancipation financière, mais aussi la notion même de sacrifice présent pour sécuriser l’avenir.

C’est un changement de paradigme qui pousse de plus en plus de nouveaux actifs à se détacher des mécanismes gouvernementaux pour miser sur une préparation personnelle, ancrée dans une quête assez absolue d’indépendance.

Et si cette propension à vouloir “reprendre le pouvoir” est d’apparence louable, elle peut aussi cacher un scepticisme assez dangereux pour la bonne tenue du système par répartition. Ainsi, il apparaît comme nécessaire d'œuvrer pour réconcilier la population avec la retraite d’État, car, à l’heure actuelle, la confiance semble belle et bien rompue.