
Une épargne de précaution devenue réflexe
Depuis 2020, l’épargne des Français atteint des sommets. En 2024, le taux d’épargne a même dépassé les 18,2% du revenu disponible brut, contre une moyenne de 15 % sur les vingt dernières années Banque de France). Cette hausse spectaculaire s’explique par une succession de chocs – crise sanitaire, instabilité géopolitique, inflation – qui ont modifié les comportements.
Dans ce climat, épargner est devenu un réflexe. Le Livret A, les comptes à terme et les autres produits réglementés ont vu leur encours bondir. Ces supports rassurent : ils sont simples, garantis, sans risque apparent, et fiscalement avantageux. Mais cette sécurité a un prix. Ils rapportent peu, et surtout, ils ne protègent pas contre l’inflation.
Avec une inflation moyenne estimée à 3,1% sur l’année 2025 (source : EcoChart Avril 2025), placer son argent à 3 % net revient à perdre du pouvoir d’achat. Une épargne de précaution trop importante peut devenir, à terme, une épargne punitive. C’est le grand paradoxe français : on épargne beaucoup, mais mal.
Ce phénomène traverse toutes les catégories sociales, mais il est particulièrement visible chez les jeunes actifs, les femmes, et les indépendants. Autant de publics pour lesquels l’épargne devrait être un levier d’autonomie, pas un simple matelas d’appoint. Les retraités, les personnes aux revenus modestes ou les jeunes entrant dans la vie active rencontrent aussi des contraintes spécifiques. Adapter sa stratégie à sa situation personnelle reste indispensable.
Une épargne qui finance peu les projets de vie
Derrière les chiffres rassurants, la réalité est plus ambivalente. L’essentiel de l’épargne française reste “immobile”. Selon France Stratégie, à peine 20 % de cette épargne est orientée vers des investissements à long terme – assurance vie en unités de compte, PER, actions cotées ou non cotées. Ces outils existent, mais sont sous-utilisés.
Pourquoi ? Parce qu’ils sont perçus comme techniques, risqués, voire réservés à une minorité d’initiés. Le moindre mot de jargon crée une barrière mentale. On attend, on diffère, on se dit qu’on verra plus tard. Et entre temps, on laisse passer des années de rendement potentiel.
Investir n’est pas une affaire d’expert. C’est d’abord une manière de se projeter : acheter un logement, anticiper les études des enfants, préparer sa retraite. Ce qu’on appelle “investissement” est souvent une traduction concrète d’un projet de vie. À long terme, les rendements des supports d’investissement dépassent largement ceux des produits garantis, même en tenant compte des aléas de marché. Ce n’est pas une promesse. C’est une réalité documentée.
Cela ne veut pas dire qu’il faut ignorer les risques. Investir suppose de comprendre ce qu’on fait, de prendre en compte la durée sur laquelle on souhaite le faire, de diversifier ses placements, et d’être accompagné si besoin. Il existe aujourd’hui des outils pédagogiques et du contenu qui rendent cela plus accessible que jamais.
Donner un sens à son épargne, sans être expert·e
Ce qui fait défaut aujourd’hui, ce n’est pas l’épargne, mais l’éducation financière. Trop de personnes accumulent sans objectif, par défaut. Elles pensent, à tort, que bien gérer son argent exige un gros capital ou un bagage technique. Et surtout, elles redoutent de mal choisir.
Ce frein est réel. Beaucoup hésitent entre assurance vie et PER par exemple, entre gestion libre ou pilotée, entre les offres bancaires, les conseillers en gestion de patrimoine ou celles des plateformes en ligne. Le montant à investir, le moment pour le faire, la fiscalité… autant de points d’interrogation qui créent de la procrastination. Or ne rien faire est déjà un choix – souvent coûteux.
Prenons le cas de Mathilde, 35 ans, médecin généraliste à Paris. Elle met de côté depuis cinq ans, exclusivement sur un Livret A et un Compte épargne logement (CEL). Une stratégie qu’elle jugeait “prudentielle”. Mais en réfléchissant à sa retraite, elle a pris conscience que sa future pension ne suffira pas. Elle a longtemps hésité entre assurance vie et PER, et n’a franchi le pas qu’au bout de cinq ans.
Ce délai lui a coûté cher. Si elle avait investi les 30 000 euros qu’elle possède aujourd’hui dès le départ, elle aurait pu générer 36 000 euros supplémentaires pour sa retraite, en supposant un rendement moyen de 5 % sur 35 ans. En matière d’épargne, le temps joue pour ou contre soi. L’attente a un coût – invisible, mais réel.
Moins de livret, plus de vision
La France n’a pas un problème d’épargne. Elle a un problème de projection. Tant que l’épargne reste figée dans des réflexes d’attentisme, elle ne produit rien. Ni pour soi, ni pour la société. Investir ne signifie pas prendre des risques inconsidérés. Cela signifie choisir une direction. Donner une destination à chaque euro. Ne plus subir l’inertie, mais faire de son épargne un outil actif.
Car au fond, la vraie question n’est pas “combien j’épargne”, mais “pour quoi j’épargne”. Quels sont mes objectifs ? Quelle part de mon épargne sert vraiment mon avenir ?
Et à cette question, chacun·e a une réponse différente. Ce qui compte, c’est de se la poser. Car au-delà de l’intérêt personnel, investir, c’est aussi soutenir des projets utiles : l’économie réelle, la transition écologique, les entreprises locales. Donner du sens à son épargne, c’est agir pour soi, et pour plus grand que soi.