Des flashbacks un poil glorifiés de la Révolution Française aux critiques acerbes émanant de pays moins bien lotis, une bonne partie du monde s’est forgé une opinion plus ou moins objective sur les mouvements qui ont secoué la France ces derniers mois. Rétrospective.

« Chez nous, c’est 67 ans, et vous vous plaignez pour 64 ans ?»

Chez nos voisins belges, la levée des boucliers français face au prolongement de l'âge du départ à la retraite a vraiment du mal à passer. Il faut dire que de l’autre côté de la frontière, la retraite, elle se prend à 65 ans. Enfin, disons qu’elle se prenait à 65 ans car une réforme de 2014 a discrètement prolongé l’âge à 67 ans d’ici l’horizon 2030… Dans l’indifférence la plus totale.

Et c’est bien ce qui dérange la population : l’absence de réaction face à une décision qui, pourtant, a un impact majeur sur une énorme frange de la population.

Dans un article du Parisien, plusieurs citoyens Belges accusent le coup en observant les français se mobiliser comme jamais. C’est par exemple le cas chez les plus jeunes, qui se sont trouvés inspirés par la contestation dans l’hexagone : “Si j’avais su, je serais sans doute descendue aussi dans la rue” souffle par exemple une adolescente de 16 ans seulement.

À l’autre extrémité de l’échelle des âges par contre, les habitants déjà à la retraite s'avèrent être moins dithyrambiques, avec des opinions qui rappellent les meilleurs moments de la Coupe du Monde 2018 : « Ah ils peuvent grogner s’ils veulent, mais les temps ont changé, les gens vivent plus longtemps et si ça continue comme ça, dans 25 ans, plus personne n’aura de pension en France » explique ainsi un ancien pharmacien.

Mais en réalité, bien au-delà des petites comparaisons, ce que la réforme génère chez les non-hexagonaux, c’est surtout une vraie introspection. À la fois sur son rapport au travail et à la retraite, mais aussi sur la gestion des conflits et des désaccords avec son propre gouvernement.

“French people are crazy”

Beaucoup (beaucoup) plus loin, au-delà de l’océan Atlantique en fait, la vision de la réforme et du “soulèvement” français a paradoxalement engendré beaucoup moins de dissensions qu’en Europe.

Là-bas, la jeunesse américaine a ouvertement récupéré et accepté le mouvement, principalement parce qu’il a réussi à chambouler l’image traditionnelle et vieillotte de la grève et des manifestations.

Sur TikTok notamment, les tendances #ParisProtest, #FranceProtest ou autres ont trusté pendant plusieurs mois le sommet des thématiques qui ont généré le plus de vues. Aujourd’hui par exemple, la combinaison des différents hashtags sur le sujet vient de dépasser les 200 millions de vues.

Mais il n’y a pas que le folklore des chorégraphies d’MC Danse pour le Climat ou l’improbable barbecue-tramway qui ont su attirer l’attention des Gen Z. Sur d’autres réseaux, un peu moins visuels et plus conversationnels comme Reddit, la mobilisation géante des opposants à la réforme a eu un tout autre impact.

Celui de la révélation…

…Avec un arrière-goût inattendu.

Prise de conscience sur sa propre retraite

Sur Reddit donc, on compte des centaines, des milliers de threads (sujets de discussion) qui présentent la situation en France comme une révélation. Une prise de conscience qui se matérialise par deux observations principales : oui, les populations peuvent exprimer leur désaccord avec le gouvernement avec fracas, et, une fois que l’on a acquis l’idée… pourquoi ne pas faire pareil ?

“C’est fou de voir les Français se mobiliser en grand nombre pour protester contre presque tout ce qui touche aux droits et au bien-être des travailleurs. Nous devrions nous en inspirer ici et agir de la même manière.”

Bien sûr, ces communautés ont une vision, disons “romancée” du contexte et des mouvements actuels, qui, pour le coup, n’ont pas pu empêcher la ratification de la réforme. Mais l’idéalisme a pris le pas sur le pragmatisme, au point où il s’est clairement passé quelque chose outre-atlantique suite à la diffusion massive d’images de français défilant dans la capitale et ailleurs.

Ce quelque chose, il est tombé à pic pour raviver l’agitation locale et la montée en puissance de discours alternatifs sur la relation au travail des américains, et par extension, leur relation avec la retraite.

L’admiration de l’exemple français paraît du coup presque ironique, ou improbable, tant un monde sépare les cultures anglo-saxonnes et la tradition hexagonale quand on parle de grève, et de vision du travail.

Pourtant, alors que l’on pourrait penser que le fait d’observer tout un peuple se plaindre d’une situation privilégiée n’aurait pu mener qu’à l’indifférence, ou au mépris, dans les faits, il s’est passé l’inverse.

Car, oui, les français sont descendus dans la rue pour défendre une retraite qui, une fois comparée aux standards mondiaux, est particulièrement avantageuse.

Or, l’immense majorité des internautes ne l’ont clairement pas pris de cette manière. En voyant les français manifester, ils se sont plutôt tournés vers leur propre situation, et comment ils en sont arrivés là.

Faire comme les français

Aux États-Unis, la retraite est un sujet qui divise.

Alors que l’on imagine souvent le retraité profitant de son 401k à Miami, la vérité est bien plus amère : malgré les idées reçues, même pas un tiers des citoyens américains récolte les fruits d’une épargne par capitalisation, alors que cette dernière est quasiment indispensable pour survivre.

De ce fait, les cas de travailleurs très, très âgés se multiplient, comme le doyen de 82 ans, caissier à Walmart et sauvé par l'intervention de la force collective d'internet... plutôt que son employeur.

Là où le cas français intervient, c’est dans l’anticipation de la retraite, qui n’est pas vraiment un sujet outre-atlantique, surtout auprès des plus jeunes.

Mais ça, c’est une problématique qui est progressivement en train d’évoluer. Encore sur Reddit, nombreux sont les utilisateurs à confier que la situation en France a été une révélation sur leur propre condition :

“On est littéralement asservis et en échange on a droit à 10 ans max fauché dans une maison de retraite, et encore, c’est si on a de la chance. C’est tellement déprimant de bosser toute sa vie pour ça. Ils (ndlr : les français) ont raison de faire ça, et ça me fait voir les choses différemment car, avec mon copain on vivait d’un paie à l’autre, sans penser à la retraite. Maintenant, on va se préparer, même si ça ne va pas être simple.”

Dans le reste du monde, il est difficile de dire si l’impact aura été aussi saisissant (ou même existant) qu’aux États-Unis, mais loin de l’opinion publique, la réforme a eu des conséquences politiques assez amusantes.

Au Royaume-Uni par exemple, le gouvernement a observé les échauffourées françaises avec un bon gros bout d’appréhension. Le morceau était si imposant que, discrètement, le parlement a décidé de presser le bouton pause sur la réforme locale, censée prolonger le départ à la retraite à un âge qui ferait sûrement imploser l’intersyndicale de façon nucléaire : 68 ans.

C’est une maigre consolation on l’imagine, mais à défaut de rendre illégitime leur propre réforme, les français auront au moins réussi à inspirer des millions de personnes, souvent de la nouvelle génération et tout autour du globe.

En l’espace de quelques mois donc, ils ont encouragé, sans intention particulière, beaucoup d’individus à se questionner sur leur propre retraite. Et qui sait combien de destins ont été chamboulés, juste par le visionnage d’un cortège dansant, ou d’un baguette-merguez qui change de main. La magie en action.