[Interview] Tout le monde ne sera pas freelance et c'est tant mieux - Alexis Minchella et le futur du freelancing
"Malgré la solitude qu’on peut avoir, en tant qu’indépendant, je n’ai jamais joué autant collectif que maintenant."
J’ai échangé pour la première fois avec Alexis sur whatsapp, il y a plus d’un an. On a pu discuter ensuite à plusieurs reprises sur sa vision du freelancing, les profils des freelances avec lesquels ils travaillent ou encore le futur du freelancing. Précurseur parmi les podcasteurs sur ce sujet, il a lancé Tribu indé qui en plus du podcast, de la newsletter, est aujourd’hui un véritable écosystème de contenus qui accompagnent les indépendants et les freelances dans leur quotidien. J’ai l’ai sollicité pour avoir son point de vue sur les problématiques des freelances au quotidien, les bonnes pratiques mais aussi sur les évolutions du freelancing passées et futures.
Je vous laisse découvrir notre échange d’une trentaine de minutes qui je l’espère, vous plaira. Bonne écoute.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Alexis Minchella, 28 ans, j’ai une double casquette : 10% de mon temps je suis freelance en copywriting et 90% de mon temps est aujourd’hui consacré à Tribué indé. Tribu indé c’est un écosystème de contenus pour les indépendants et les freelances. C’était un podcast au départ, puis une newsletter et ensuite un livre : Freelance, l’aventure dont vous êtes le héros, des évènements, un compte instagram, des vidéos youtube. Il y a donc tout un système de contenus gratuits et un bootcamp payant.
Comment es-tu devenu freelance et pour quelles raisons ?
Je suis devenu freelance à temps plein fin 2018, début 2019 mais ma première facture date de 2017. J’étais étudiant et j’ai commencé à faire du freelancing en utilisant une plateforme pour trouver des missions. C’était mon argent de poche. J’ai commencé un peu par hasard, j’écrivais des articles à titre personnel et je me suis dis pourquoi pas être payé pour le faire. Ca a été mon premier pied dedans. Ensuite, comment j’ai sauté le pas ?
J’avais de plus en plus d’idées, comme le podcast par exemple, mais pas le temps de m’y consacrer en étant en CDI. En plus de ça je ne m’épanouissais pas dans mon travail ni dans l’environnement dans lequel je travaillais. Je n’étais pas vraiment en phase avec le management ou la vision. Donc en janvier 2019 j’ai décidé de me lancer à plein temps pour tenter un truc par moi-même.
Quels sont pour toi les avantages et les inconvénients du freelancing ?
Il y a surtout plein d’avantages et c’est vrai quelques inconvénients ! Ca va dépendre aussi de la raison pour laquelle on se lance et chacun a sa propre raison.
Le premier avantage, pour moi, c’est qu’on peut être rentable dès sa première facture et petit à petit gagner beaucoup plus.
Pour d’autres, le principal avantage pourra être la liberté. La liberté qui peut être à la fois la liberté géographique mais aussi la liberté d’action. On peut choisir les projets sur lesquels on veut travailler, les personnes avec qui on veut travailler, avec qui on partage des valeurs notamment. La liberté c’est aussi la liberté dans son temps de travail et son organisation.
Pour moi la liberté géographique est un vrai avantage. Je reviens d’un mois aux Canaries, je n’ai pas besoin de valider avec mon manager. J’ai des clients partout en France et ils s’en fichent pas mal d’où je me trouve.
Sur le temps, ça a été pour moi un énorme levier aussi, qui m’a permis de développer Tribu indé tout en ayant des revenus avec mes missions de freelance.
L’important c’est de pouvoir livrer ce qui est attendu à un instant T. L’organisation en amont n’appartient qu’à nous. C’est cette liberté d’action qui m’a permis de créer et de développer Tribu indé.
Sur les inconvénients j’en vois deux principaux : la solitude et l’incertitude.
C’est quand tu quittes le modèle du salariat que tu comprends les avantages (prévoyance, mutuelle, CE, collègues, teambuildings,...). Tu le perds par défaut en freelance. L’enjeu est donc de re-créer cet écosystème. Personne ne viendra te chercher, c’est à toi d’aller rencontrer du monde.
L’incertitude se situe à plusieurs niveaux : en termes de développement, de salaires, de finances, de facturation. A part si tu arrives à avoir de la récurrence il est difficile de voir avec certitude à 3-5 mois. Contrairement au salariat tu n’as pas l’assurance de toucher ton salaire tous les mois à un montant connu d’avance.
Quelles solutions tu as mises en place pour pallier à la solitude et aux incertitudes ?
Sur la partie solitude, clairement Tribu indé m’a permis de recréer cet écosystème. C’est d’ailleurs une des raisons de la création. Je voulais rencontrer des freelances plus expérimentés et de nouvelles personnes dans le réseau. Grâce au podcast je rencontrais toutes les semaines au moins une nouvelle personne.
Que ce soient les invités ou ceux qui écoutent le podcast j’ai fais et je fais de nombreuses rencontres, je découvre de nouveaux points de vue. Même pour ton développement personnel, c’est un véritable patchwork, un vrai pêle-mêle de ce qui peut exister et c’est super intéressant.
Sur les incertitudes et la protection sociale, il y plusieurs points-clés. Déjà, je pense que c’est plus facile de se lancer maintenant qu’il y a 10 ans. Il existe de plus en plus d’entreprises spécialisées pour les indépendants, vous en êtes le parfait exemple. Ces entreprises comprennent les problématiques des freelances, l’univers dans lequel on est.
Le produit est adapté à la fois en termes de tarification et de services. Il est donc plus simple aujourd’hui de s’assurer sur les sujets de prévoyance, mutuelle, RC pro, banque,...
“Malgré la solitude qu’on peut avoir, en tant qu’indépendant, je n’ai jamais joué autant collectif que maintenant”
Tu as dis “le freelancing c’est la 1ère étape de l’entrepreneuriat”, peux-tu développer ?
Je trouve que le freelancing est sous-estimé pour des entrepreneurs qui veulent monter une boîte.
En 2010-2012 il y avait une grosse hype sur le lancement de startups. Ca coïncide avec la sortie “the social network” et les grandes histoires d’entrepreneurs qui ont réussi. Mais le pourcentage de ceux qui réussissent est faible. Parfois, je pense que pour tester un service et le faire le plus vite possible, c’est une bonne manière de commencer en free.
Pour 2 raisons principales :
- tu peux tester ta cible en vendant de la prestation
- l’entrepreneuriat au sens de start up engendre souvent des coûts importants et des risques. En free tu peux avoir une première étape qui te permet de comprendre comment fonctionne un business (comptabilité, facturation, relation client,...) que tu peux dupliquer ensuite. Ca peut aussi te permettre de générer du cash pour réinvestir dans une autre entreprise demain.
Pour toi le freelancing est moins risqué que monter une start-up. Pourtant le risque paraît intrinsèque au fait d’être à son compte.
Oui et non.
Ca paraît plus risqué qu’être salarié, où que tu bosses bien ou pas, tu seras payé à la fin du mois. Mais par rapport à l’entrepreneuriat, tu es tout seul, tu n’as pas besoin de développement technique, tu es rentable dès ton 1er client. Assez vite, tu peux te dégager un salaire, si tu as bien préparé toutes les étapes.
Quand tu as ton socle de compétences que j’appelle rares et utiles, que tu mets tous les jalons et piliers business, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas.
Tu peux assez vite toucher tes 2 000€/mois que tu touchais en tant que salarié. Et plus vite qu’un salarié tu peux augmenter le volume si tu le souhaites.
Je vois moi j’ai rarement plus de 10-15 clients par an. A l’échelle de la France ça paraît bien plus atteignable que devoir trouver 1500 clients en 1 an.
Samuel Durand dans une précédente interview me disait qu’il avait l’impression, dans sa vision du futur du travail, d’être une exception dans sa génération.
On a pourtant l’impression que la flexibilité dans le travail est un phénomène de société, au moins à l’échelle d’une génération justement. Qu’en penses-tu ?
Dans notre écosystème (si je prends par exemple l’environnement du podcasting) on a l’impression que tout a changé. Mais quand tu sors du microcosme, tu te rends compte que le freelancing ce n’est pas automatique. Dans mon entourage proche je suis le seul à m’être lancé en freelance. Sur ma promo de 450 en école de commerce on doit être 3 ou 4, donc c’est encore un phénomène marginal et pas la norme.
Au niveau du gouvernement on l’a vu, sur le plan de relance les indépendants n’étaient même pas cité au démarrage contrairement aux salariés ou aux chefs d’entreprise.
Même si on considère qu’il y a 3 millions d’indépendants aujourd’hui ce n’est pas énorme sur le total de 20 ou 30 millions de travailleurs. Mais je pense que c’est un phénomène qui va s’accentuer. C’est encore assez marginalisé en France, mais beaucoup moins aux US et au UK par exemple.
Et comme on a souvent un petit train de retard en France par rapport à ces marchés, je pense que la tendance va continuer à croître ici.
Est-ce que la tendance ne serait pas plutôt un décloisonnement salarié vs indépendant plutôt que tout le monde sera indépendant ?
Je ne supporte pas les gens qui opposent freelances, salariés, entrepreneurs. Ce n’est jamais tout noir ou tout blanc, il faut des deux. Heureusement qu’il y a des salariés et des entreprises pour qu’on ait des clients.
Par contre, je pense que tout le monde pourrait devenir freelance mais que le freelancing n’est pas fait pour tout le monde.
C’est simplement une autre forme de travail, une autre approche, mais je suis convaincu que demain tout le monde ne sera pas freelance et heureusement. Je ne pense pas non plus qu’un jour 50% de la population sera freelance.
Quelle est ta vision du futur du travail ?
C’est toujours une question difficile, j’ai l’impression d’être dans l’opérationnel, et j’ai du mal à me projeter. Je pense qu’on va vers de plus en plus de synergies, entre des personnes qui montent des boîtes, des collectifs, un peu comme des agences.
Mon souhait en tout cas c’est “que la part et la voix des indépendants comptent d’un point de vue sociétal et en entreprise.”
Parfois les grands comptes sont réticents à travailler avec des freelances, parce qu’ils ne connaissent pas. J’ai envie qu’on parle de plus en plus de ce mode de travail et qu’on éduque sur les tenants et aboutissants pour qu’on voit que c’est ok de travailler avec eux. J’espère qu’il y aura de plus en plus de collaborations et que ce sera de plus en plus simple. Il y a encore beaucoup de freins, administratifs aussi. Globalement donc, j’espère qu’il y aura de plus en plus de collaborations, que ce sera plus fluide et qu’on soit mieux reconnu d’un point de vue gouvernemental.
La retraite de demain c’est quoi pour toi ?
Je fais l’autruche avec le sujet, comme c’est loin, je procrastine.
Demain je n'exclut pas de remonter un projet, de revenir salarié, de revenir freelance etc,...
je n’envisage pas d’avoir une carrière linéaire c’est certain et aujourd’hui le système de cotisation n’est pas adapté aux changements qu’on aura dans notre carrière professionnelle.
Je ne sais pas trop comment aborder le sujet. Pour le moment, je mets un maximum d’argent de côté tous les mois. Je ne dépense pas beaucoup, je me crée un fonds de trésorerie et j’ai quelques placements en me disant que ça fera en partie un complément à la retraite.
Heureusement que vous prenez le sujet en main parce qu’il faut un système qui s’adapte aux revenus fluctuants des indépendants et qu'in fine la retraite reflète l’effort que tu as mis sur ta carrière et l’impact que tu as eu sur la société.
Est-ce que la retraite ce sera la fin de ta vie professionnelle ou est-ce que ce sera réparti au cours de ta vie sur des moments de pause ?
J’envisage complètement de prendre des moments de pause, 6 mois par exemple, où je vais explorer des choses. Est-ce que ça c’est une retraite ? Moi je considère ça comme une coupure ou une pause professionnelle aujourd’hui. Pour moi, la retraite correspond encore au fait de se retirer définitivement du monde professionnel.