Quand on parle d’inégalité dans la retraite des français, le postulat de départ est assez terrifiant, et ce, peu importe l’endroit où on pose les yeux : 

- Dans la comparaison brute entre les pensions moyennes des retraités, les femmes sont désavantagées (1272€ net contre 1674€ pour les hommes).
- En ce qui concerne l'âge moyen de départ, les femmes sont encore désavantagées (62,0 pour les hommes, 62,6 pour les femmes).
- Même chose du côté des retraités ayant subi une décote faute de carrière incomplète. 44% des femmes en ont fait les frais, contre 32% chez les hommes.
- Enfin, chez les plus téméraires décidant (ou étant forcés) d’attendre l'âge butoir de 67 ans… On retrouve deux fois plus de femmes que d’hommes (20 et 10% d’entre eux).

En résumé, l’immense majorité des éléments retenus pour juger la qualité d’une retraite génèrent des inégalités qui finissent par clairement défavoriser les femmes. Et les différents dispositifs créés pour nullifier le déséquilibre, comme le système de retraite progressive ou la majoration suite à la naissance ou l’adoption d’enfants n’ont que trop peu d’impact pour efficacement renverser la tendance et rendre le système plus équitable.

Et si la situation actuelle perdure, ce n’est pas la faute d’un ensemble de règles et de considérations qui vont de façon ouverte et décomplexée créer de la précarité chez les femmes retraitées, non, c’est bien plus sournois. Comme pour tous les déséquilibres dominants, les inégalités prennent racine dans un ensemble de facteurs complexes : certains purement socio-économiques, d’autres sociétaux ou même éducatifs.

Il n’y a donc pas vraiment de solution miracle, ultime et court-termiste, pour permettre l’émancipation des femmes -mais également de toutes les autres catégories démographiques, socio-professionnelles ou socio-économiques- d’une retraite automatiquement revue à la baisse.

Mais ça, on le savait.

Car, sans aucun fatalisme (ou alors avec juste une pointe), ce n’est pas en attendant que les systèmes évoluent par eux mêmes que l’indépendance arrive. Surtout quand elle est financière.

Comme toujours, il faudra prendre son dû. Soi-même, et directement.

Et sur ce point précis, il existe des solutions.

Une réforme qui peut faire mieux (mais ne le fait pas)

Il y a quelques semaines, Olivier Dussopt, ministre du Travail, a tenu à rassurer les foules : il n’y aura pas de “perdants” après l’application de la réforme des retraites.

On aime le côté aventurier impulsif de la déclaration, mais un peu moins celui qui tente de noyer le poisson.

Car si techniquement, le recul de l'âge de départ à la retraite va forcément (un tout petit peu) atténuer les disparités en réduisant l’écart des pensions entre les genres - par le prolongement global de la durée de cotisation -, le cœur du problème restera lui inchangé. Pire, il demeurera insoupçonné.

Ainsi, les femmes, qui partent déjà bien plus tard à la retraite que les hommes, partiront encore plus tard. Un décalage de 4 mois (4 mois de plus pour les hommes suite à la réforme, 8 pour les femmes sur la génération 1980) qui efface tous les bénéfices accordés par exemple aux mères qui peuvent profiter de trimestres supplémentaires pendant la période de maternité.

Les femmes partiront plus tard à la retraite suite à la réforme

Originellement, la future réforme des retraites était censée mettre fin à l’ensemble des inégalités présentées en début d’article. Du moins, c’est de cette façon qu’elle a été présentée. Et dans les faits, quelques éléments auraient pu totalement changer la donne en créant un rééquilibrage inattendu : on pense notamment à l'augmentation de la retraite minimale à 85% du SMIC brut. Les fameux 1200€ qui auraient mis sur un pied d’égalité bon nombre de retraités… si l’attribution de cette aide n’était pas conditionnée à la complétion d’une carrière complète.

Un volte-face qui reste ironiquement dans l’esprit de la réforme, avec des propositions présentées comme aidant les femmes, et qui finalement se retournent contre elles.

Mais au-delà de la réforme, c’est l’absence de détachement des perceptions traditionnelles qui crée de la frustration.

L’idée de pénibilité est par exemple profondément ancrée dans une interprétation masculiniste de l’effort physique et mental, sans perspective ni indice d’évolution à court ou long terme, étant donné que les réformes successives suppriment de plus en plus de critères.

En 2017 déjà, l’invisibilité de la pénibilité de nombreux métiers principalement féminins était portée par de nombreux spécialistes. Encore plus tôt, en 2003, un rapport démontrait que la pénibilité et les pathologies qui concernaient principalement les femmes étaient totalement occultées pour calculer le montant des pensions. Puis, bien plus récemment, La Déferlante a livré les résultats d’une enquête sur l’impact catastrophique que pourrait avoir la réforme des retraites sur l’ensemble des femmes de ménages.

Encore une fois, on se retrouve donc dans le cas de figure d’une société qui évolue trop lentement pour s’aligner à la réalité du quotidien d’une partie non négligeable de la population.

Surtout quand celle-ci est invisibilisée.

Des inégalités étouffées

Il est toujours plus difficile d'imaginer l’impact d’actions ou de ressentis qui ne nous concernent pas directement.

Pourtant, c’est un fait : les carrières “non-conventionnelles” (à comprendre toutes celles qui ne s’illustrent pas par une ligne ininterrompue de A à B) sont celles qui pâtissent le plus du système de retraite actuel, avec une décote sèche à laquelle vient appliquer une double peine qui vient encore plus précariser les profils ayant déjà dû gérer une vie professionnelle mouvementée.

En moyenne, 80% des contrats à temps partiel sont représentés par des femmes, ce qui représente une femme sur 4. Chez les hommes, le ratio est bien différent : 1 sur 10.

Les statistiques et les données restent cependant floues, surtout lorsqu’elles sont décorrélées de récits de vie, conditionnés par ces carrières hachées.

La série Vieillir au travail de Mediapart, qui met en lumière des récits vibrants de travailleurs délaissés, révèle justement toute l'étendue de ce problème qui, toujours aujourd’hui, est jugé comme étant purement anecdotique.

Les témoignages sont pourtant réels, et ils permettent de découvrir que les carrières dites hachurées sont toujours considérées avec un mauvais œil assez évident. Un jugement porté par une vision très unilatérale du travail, où celles et ceux (surtout ceux) qui cotisent sans discontinuer, sans aléas du quotidien ou de la vie en générale, sans perte d’emploi, reconversion ou congés maternité sont les seuls à bénéficier du taux plein à l’âge minimal.

Ainsi, et de façon paradoxale, les parcours les moins linéaires et les trajectoires de vie les plus mouvementés se retrouvent laissés de côté, alors qu’ils représentent peut-être les profils qui auraient “mérité” le plus une retraite décente.

1er exemple avec l’histoire de Marie, 66 ans, qui a commencé à travailler dès 14 ans, et a connu plus d’une quinzaine de postes, plusieurs statuts et types de contrats, deux grossesses, des périodes d’inactivité, une séparation, mais aussi un cancer ayant causé un handicap, suivi d’un difficile retour à l’emploi :

“Quand j’ai eu 60 ans, j’étais à Pôle emploi et je leur ai demandé si je pouvais partir plus tôt. Comme je travaille depuis longtemps, que je suis travailleuse handicapée, je pensais pouvoir partir à 62 ans à taux plein. mais quand j’ai demandé à la Carsat [Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail – ndlr], ils m’ont dit que ce n’était pas possible. Apparemment, je ne rentrais pas dans les conditions pour avoir une retraite anticipée. Alors, à 66 ans, je travaille encore et la Carsat me dit que je dois attendre jusqu’à mes 67 ans pour avoir une retraite complète.”

Puis il y a Marcia, 58 ans, découvrant avec effroi qu’elle ne bénéficiera pas d’une retraite anticipée, même après avoir commencé à travailler à 17 ans et connu une carrière jonchée de hauts (peu) et de bas (beaucoup) :

“J’ai souhaité me renseigner sur la possibilité de prendre une retraite anticipée, vu que je totalise sept trimestres cotisés avant la fin de mes 20 ans. Normalement, au bout de cinq trimestres cotisés avant l’année des 20 ans, on peut partir plus tôt. Quelle n’a pas été ma surprise d’entendre la conseillère de la Caisse d’assurance retraite et de santé au travail me dire que, pour les carrières longues, les périodes de chômage étaient comptabilisées différemment. Seuls quatre trimestres peuvent être retenus dans le cadre des carrières longues, même si cette période était mise à profit pour une formation diplômante. Donc mes deux ans de formation financée par les AFR, ça ne compte pas. Du coup, je ne peux pas partir à 60 ans, je dois attendre 64 ans. “

Le problème, c’est que ces discours, principalement féminins, n’ont quasiment aucune visibilité sur les bancs de l’Assemblée. Mais ce n’est que la partie non immergée de l’iceberg.

Une génération qui porte le combat, et des solutions qui existent

Ce qu’il y a de plus marquant - oui, pire que les inégalités en matière de pension ou de salaire-, c’est l’écart de richesse entre les hommes et les femmes, une fois la retraite atteinte.

Car si, en général, la différence de revenus à âge égal est d’environ 15% entre les genres, la statistique triple d’ici la fin de la carrière professionnelle.

Un décalage que beaucoup expliquent par les énormes disparités (entre autres causes) dans l’accès à l’éducation financière, et au monde économique lui-même.

Exemple : dans l’univers de la bourse, plus de 70% des investisseurs, en France, sont des hommes. Un pourcentage qui ne fait que s’élargir plus on progresse dans les tranches d'âge.

D’ailleurs, l’homme moyen effectue deux fois plus de transactions par an que sa compatriote.

Une observation un chouia paradoxale quand on considère que, en moyenne, les femmes épargnent beaucoup, beaucoup plus que les hommes. Les moyens sont donc présents, mais sont utilisés de façon très différente. Ce qui est révélateur.

Il faut dire que le monde de la finance a atteint un niveau de masculinisation qui frise avec l’improbable. Des podcast bros qui rêvent de s’installer à Dubaï par la vente d’images virtuelles de singes, aux entrepreneurs Linkedin pour qui la manche est un “side business qui peut rapporter gros à Paris”, la récente popularité des sujets liés à l’indépendance financière a généré son lot de bizarreries, toujours embourbés dans une aura de testostérone, de Lamborghinis et de TikToks de Tony Montana.

Mais, heureusement, les choses bougent.

Il y a par exemple cette prise de conscience, que les femmes peuvent prendre ce qu’on leur refuse. Changer la donne par un certain empowerment, une prise de pouvoir par l’action, par la volonté, comme l’explique Héloïse Bolle, fondatrice de la newsletter Prends l'Oseille, et auteure du livre Aux Thunes Citoyennes :

On nous apprend à lire, à écrire, à compter… mais jamais à négocier nos salaires, à défendre notre juste valeur ou à gérer notre argent. Bien sûr, on peut mettre en cause la société, le patriarcat, notre boss et même notre banquier. Mais on peut aussi, dès maintenant, se saisir de notre pouvoir financier.

Ce pouvoir se manifeste par la création d’énormément de ressources sur la pédagogie financière axée sur les femmes, qu’il s’agisse de livres, de newsletters, de podcasts, de chaînes Youtube, de sites, de communautés… C’est un mouvement hyper bienveillant qui s’assure de réparer les fautes commises dans le passé, tout en éduquant les générations actuelles et futures à l'affirmation de leur pouvoir économique.

Un pouvoir qui, en ce qui concerne la retraite, peut également être (re)saisi.

Avec l’ouverture d’un PER.

Car dans ce cas de figure, la capitalisation fonctionne main dans la main avec le système de répartition. Elle permet de combler un manque, d’atténuer les inégalités. En gros, elle remet en place l’idée d’une retraite universelle, construite selon ses termes, à un rythme personnalisé, et qui s’adapte aux différents aléas de la vie… sans catégoriser les individus, sans les bloquer dans des carrières qui n’ont plus rien de réaliste.

Ce n’est donc pas vraiment un hasard si, ici chez Caravel, la majorité de nos clients sont des clientes. Le PER incarne assez parfaitement ce message d’action, anticipé, pour sécuriser son avenir quand les signaux gouvernementaux peinent à s’adapter à la diversité des profils et des expériences de vie.

Nous avons mené l’enquête

Début Février, nous avons cherché à faire corréler le ressenti actuel avec des données concrètes, issues de notre base de clientes. L’idée étant de confirmer, ou non, cette vision d’un système qui ne prend pas en compte les attentes, les besoins, et les spécificités des parcours féminins dans un monde du travail qui a tendance à uniformiser les parcours.

Et… les résultats furent sans appel.

(mais personne n’a été surpris)

Mais, encore une fois, au-delà des statistiques et des données, c’est surtout les témoignages qui permettent de souligner l’impact de l’inaction sur des carrières, sur des projets de vie, sur l’anticipation de son avenir.

“Je comprends qu’il faille une réforme mais celle proposée me semble injuste, bricolée et inaboutie”
“Injustices classiques, tous les cas d'études sont toujours pensés avec des référents masculins”
“Aucune mesures permettant une carrière continue pour les femmes (crèches, temps de travail répartis dans le couple etc)”
“Je suis inquiète, avec mes études longues, je devrais partir à 69 ans à taux plein, sans compter une grossesse potentielle qui me pénaliserait. Alors avec la réforme à 43 annuités…”

C’est une appréhension qui n’a jamais été vraiment silencieuse, mais plutôt mise de côté, écartée ou juste ignorée. Et le fait qu’il ait fallu attendre la réforme,(ou la montée en puissance des idées d’indépendance financière), pour que le sujet soit enfin popularisé et façon plus ou moins médiatique… Cela ne fait que renforcer nos convictions.

Celles qui prônent l’action, par la prise en main de son avenir, pour s’assurer une retraite décente, moderne, engagée, et qui fait sens dans un monde en changement permanent.

Mais pour cela, il faut déjà avoir conscience du problème.

Et c’est sûrement le plus grand défi de toute la problématique des retraites : remettre de l’universalité dans un domaine qui, bien que normalement bâti sur le concept, a paradoxalement créé de l’inégalité en souhaitant mettre tout le monde au même niveau.

Nous sommes donc loin, très très (très) loin d’une situation, d’un rapport équilibré dans l'accès à la retraite entre les hommes et les femmes, mais le simple fait que des solutions se créent, des mobilisations s’organisent, une pédagogie se développe (hyper rapidement et avec énormément de bienveillance) et globalement, qu’un mouvement entier soit de plus en plus porté par plusieurs générations…

…c’est  une avancée considérable, qui a le mérite de montrer à la fois tout le chemin parcouru, et celui qu’il reste à arpenter.