A chaque échange avec Thomas, je raccroche, apaisée. Il est de ces personnes dont le rapport au temps semble différent. Il représente un peu le contraire de ce qui m’oppresse régulièrement dans le tumulte parisien. Mais au-delà d’une séance de relaxation, discuter avec Thomas permet d’ouvrir de nouveaux horizons de pensée. Sa vision du futur du travail est fascinante et inspirante, j’ai donc voulu vous la partager.
Je vous laisse lire cet échange qui je l’espère vous plaira. Bonne lecture.
Si vous préférez regarder la vidéo c'est par ici.
Salut Thomas, merci d’avoir accepté mon invitation. Est-ce que tu peux commencer par te présenter s’il te plait ?
Je crée du contenu et des expériences pédagogiques. Au-delà du contenu, je crée des contextes pour les freelances, entrepreneurs, des gens qui créent leur travail sur mesure, pour leur vie. Le contexte, c’est comment ces personnes vont retenir du savoir et surtout l’implémenter dans leur vie.
Je suis très intéressé par toutes ces choses-là, qui vont au-delà de moi et de mon travail de produire le meilleur contenu possible. Comment la personne reçoit ce contenu et le met en pratique, me passionne parce qu’on le sait, c’est la pratique qui fait retenir le plus.
Je n’ai pas envie que les gens se disent « c’est intéressant ce que dit Thomas », mais j’ai envie qu’ils le mettent en pratique et c’est comme ça que ça va faire une différence pour leur quotidien.
Ces contenus et expériences pédagogiques se passent de plein de manières différentes, mais le fond c’est de se demander « quel est le savoir qu’une personne peut et doit intégrer pour mieux vivre cette aventure fascinante de l’indépendance et du freelancing.”
Est-ce que tu te destinais au freelancing ?
Pas du tout. Si on retrace mon parcours, a posteriori ce n’est pas vraiment le parcours que j’ai choisi. J’ai fait des études en marketing et en communication dans lesquelles je suis tombé un peu par hasard. J’étais dans un IUT de gestion et j’ai découvert le marketing là-bas, ça m’a fasciné. Et j’ai poursuivi à Dauphine, où j’ai fait toutes mes études en alternance, en commençant en cabinet de conseil à la Défense. Je suis passé du petit gamin de campagne qui ne pouvait rien faire à une personne importante qui travaille à la Défense.
Le déclic qui m’a sorti de là, c’est la mort de mon père quand j’avais 20 ans. Je me suis reconnecté à la philosophie qu’il incarnait dans sa vie. « Tout le monde, y compris nos proches, vont projeter leur vision d’une vie bien vécue. Mais la seule personne qui sait vraiment ce qu’est une vie bien vécue, c’est toi, pour toi, et ça sera différent pour chaque être humain ». Et à l’époque, quand j’ai pris conscience de ça, j’ai aussi pris conscience que lui avait vécu sa vie en alignement avec cette idée-là. Et je me suis dit que je ne savais pas la vie que je voulais créer pour moi-même, mais j’ai compris que pour avoir le plus de pouvoir là-dessus, il fallait que j’ai le plus de pouvoir possible sur mon travail. Puisque ce travail va constituer une énorme partie de ma vie. Et pour ce faire, devenir indépendant me semblait être une piste intéressante, parce qu’on peut concevoir un peu sur-mesure ce qu’on fait, pour qui on le fait, dans quel contexte on le fait.
Et aujourd’hui, je vis dans une maison passive et écolo en haut d’une colline, avec des gens que j’adore autour de moi. Pour l’instant, j’ai l’impression que cette intuition de créer une vie qui me ressemble par l’indépendance marche plutôt bien.
Quel était le métier de ton père ?
Mon père était un entrepreneur raté. Il n’a jamais vraiment eu de mission professionnelle comme on le connaît aujourd’hui. Il était assez utilitaire sur la place du travail dans sa vie. Il cherchait à faire quelque chose qui lui permettait, soit de financer ce qu’il avait envie de faire, soit de vivre ce qu’il avait envie de vivre.
Il a donc fait plein de choses, par exemple, dans sa jeunesse il a acheté un camion pour déplacer des groupes de musique dans les festivals. Ça lui permettait d’entrer gratuitement aux festivals. Avec ce même camion, plus tard, il a créé une boîte de déménagement, où il déménageait des Anglais en France ou en Espagne, tout simplement parce qu’il voulait voyager. Un jour, il a décidé de vouloir vivre en campagne et retaper une ferme pour en faire une maison d’accueil.
C’était toujours dans l’optique de vivre le mode de vie qu’il voulait grâce à un travail qui le lui permettait. Et ce que je retiens, c’est cette réflexion de concevoir une activité professionnelle qui te permette de vivre ce que tu as envie de vivre sans en devenir prisonnier ou prisonnière.
Est-ce que cet écosystème parisien de freelance fait encore partie de toi, ou est-ce que ta vie à la campagne a pris le dessus ?
Le Covid a changé beaucoup de choses. J’étais encore en dernière année de master quand je me suis lancé à mon compte. Donc forcément le monde dans lequel je vis et j’ai fait mes études tourne autour de Paris. J’étais dans des associations entrepreneuriales à l’école, donc je baignais aussi dans le monde de la start-up qui me fascinait à l’époque. Du coup, forcément c’est ce monde-là auquel je me suis intéressé en premier. J’ai ce passé de conseil, stratégie de marque, agence, et cette volonté entrepreneuriale que je nourrissais pour moi par le freelancing. J’avais envie d’avancer dans cet écosystème-là.
Le début de mon aventure indépendante a été de faire de la stratégie de marque pour les start-ups à Paris. Le passage de cette vie à ce que je fais aujourd’hui, c’est fait grâce à des nouvelles rencontres et des conversations professionnelles, qui m’ont ouvert à d’autres visions. Mon mode de vie idéal serait : créer et vivre dans un « éco-lieu » qui permet la rencontre entre des trucs écologiques, entrepreneuriaux, des quêtes et réflexions spirituelles. C’est une espèce de rencontre de toutes les parts de moi, ce qui m’éloigne de Paris, même si j’adore le dynamisme et toutes les opportunités qu’une grande ville peut présenter.
Et maintenant quand je reviens une semaine à Paris, je mets trois semaines à m’en remettre, parce que c’est trop. Je me demande comment je faisais pour travailler dans ce contexte avant.
Depuis le covid, je suis revenu en Dordogne. Ça a brisé une croyance selon laquelle j’étais persuadé que j’avais besoin de Paris pour faire ce que je fais aujourd’hui. Je me suis rendu compte qu’y passer une fois par trimestre pour son réseau là-bas suffisait. Et cela a radicalement changé la structure de mon entreprise, car j’ai commencé à tout faire à distance. Ça a aussi changé mon quotidien. Je trouve ça incroyable comme ma vie a changé ces deux dernières années.
Est-ce que tu peux nous en dire plus sur tes tournées ?
En ce moment je suis en tournée partout en France, l’idée étant de partager ce que je considère être les fondations d’une entreprise freelance à un maximum de personnes. Et cette tournée est en partenariat avec Adobe France qui voulait soutenir et propulser cet engagement pour les freelances en France. Je fais donc des modules de formation qui suivent un ordre logique sur tous les sujets fondamentaux pour les freelances et ce, dans différentes villes.
La réflexion derrière tout ça, c’est de me dire que le mode de travail de l’indépendance et du freelancing se développe énormément ces dernières années et je pense que la tendance va continuer. Mais c’est un monde complètement différent de tout ce qu’on connait du travail classique, de ce qu’on nous apprend et ce en quoi on nous formate à l’école ou en tant que salarié. Ce qui fait que c’est difficile de passer d’un monde à l’autre. Toutes les personnes que je vois se lancer en indépendant et qui étaient salariées, trouve ça hyper dur parce que ce sont deux mondes radicalement différents.
Et ce que j’observe dans le marché de l’accompagnement de freelance, c’est qu’il n’y a rien qui pose les bases. Donc, plein de gens se retrouvent à payer des accompagnements, à bricoler un peu, sans avoir généré aucun euro de revenu ou de chiffre d’affaires avec leur activité. Du coup, le but de cette tournée est de poser un socle pédagogique gratuit et accessible à tous, pour qu’à partir de maintenant, les personnes qui se lancent aient un socle, leurs premiers clients et leurs premiers revenus. Et à partir de là, ils seront dans une posture plus sage, ils pourront se dire : « Je vais investir dans mon développement plutôt que dans ma survie ».
Quels sont les piliers pour se lancer en freelance d’après toi ?
La première question à se poser, c’est la vision : « Pourquoi tu te lances ? Qu’est-ce que tu veux tirer de cette aventure-là ? ». Autant pour soi, que dans ce qu’on a envie d’apporter à ses clients. C’est ce qui donne du contexte à ce que l’on fait. Donc il faut se demander ce que l’on veut vivre grâce à cela, qui on a envie d’aider et les transformations à long terme que ça offre. C’est ça aussi le potentiel qu’on a avec notre travail, c’est d’en faire un outil de transformation pour nous, nos clients et pour le monde autour.
La question qui vient juste derrière, c’est maintenant que je sais ce que j’ai envie d’apporter à quel type de personne, il faut mieux les comprendre.
Un business freelance, c’est un travail d’échange de valeurs entre deux êtres humains.
On va avoir un être humain en face de nous. Le but, c’est de lui apporter des choses pour soutenir l’aventure dans laquelle elle est déjà et la direction qu’elle prend. Il faut bien comprendre ces personnes, pour créer ce lien de confiance nécessaire pour qu’on s’engage ensemble.
Et cela débouche sur le choix du positionnement, c’est-à-dire, maintenant que l’on a compris le monde de l’autre, comment faire pour faire rencontrer son monde et le mien. Comment mettre mes compétences et expériences au service de la personne pour que ça soit intelligible et utile dans son monde.
Puis, ce qui suit, c’est un pilier sur le marketing, c’est-à-dire comment faire pour aller rencontrer ses clients. Le marketing de manière très simple quand on est indépendant, c’est créer des nouvelles rencontres avec des gens qui correspondent aux personnes qu’on veut aider et avoir des conversations qui ont du sens avec ces personnes.
Le marketing et tout ce qu’on a vu jusqu’à maintenant n’est pas une science exacte. C’est en quelque sorte une phase de test pour améliorer son idée. Et en fait, c’est un cycle qui recommence et qui va prendre un certain temps à optimiser.
Donc on arrive sur la fondation d’après, qui est comment utiliser ce temps. Quand on est freelance, très souvent on se lance parce qu’on veut reprendre le contrôle de nos ressources les plus précieuses, le temps en étant une. Sauf qu’on se retrouve à bosser plus qu’avant sur des tâches qui nous inspirent encore moins, mais on se raconte que c’est mieux parce que c’est pour nous. Et c’est là qu’il faut se poser la vraie question de l’utilisation du temps. Il y a donc la structuration à long terme, comment on se voit dans 1 an, 1 semestre, etc. Mais aussi la structuration de la semaine, pour définir les priorités et découper son temps.
Et la dernière réflexion, c’est une fondation méthodologique. Ce que nos clients viennent chercher ce sont, certes des résultats sur un sujet donné, mais aussi le chemin vers ces résultats. On ne fait pas tous notre métier de la même manière, et on peut se différencier par le positionnement et par qui on est en tant que personne et qui on veut aider. On peut aussi se différencier par notre approche, et ça peut être quelque chose que les gens viennent chercher précisément parce qu’on a une approche différente.
Et moi, c’est ce qui m’a différencié. J’ai une méthodologie beaucoup plus participative que la majorité des agences. C’est donc un des piliers, concevoir une méthode qui me ressemble, qui apporte les meilleurs résultats possibles aux clients. Au-delà même des livrables simples qu’on me demande, c’est optimiser cette méthodologie dans le temps.
A quel niveau situer la partie gestion et administration dans ta méthodologie ?
C’est aussi très important, ce n’est pas dans ce que j’appelle les fondations pour la base, parce qu’à mon sens c’est une question de gestion de ressources. Et effectivement, le cercle vertueux dans lequel n’importe quel indépendant doit tomber, c’est un endroit où les ressources sont nourries et permettent de donner le meilleur de soi aux autres. Et grâce au fait de donner le meilleur de soi et faire le meilleur travail possible pour ses clients, ça nourrit de nouveau les ressources. Le but est que ce cercle soit créateur de ressources pour tout le monde. Lorsque l’on a un excédent de ressource, on peut choisir de recruter et de continuer de nourrir son système d’entreprise pour créer plus de valeur. On peut aussi faire des placements, avec l’exemple de la retraite.
Donc on commence à jouer avec nos ressources pour les redistribuer d’une manière ou d’une autre, comme ça nous semble plus pertinent et viable. Et donc ce n’est pas mon expertise première, personnellement. Mais pour moi, les fondations comme je les ai présentées, c’est créer ce cercle vertueux où mes ressources sont nourries et donc je peux donner le meilleur de moi, parce que je suis dans le meilleur état.
On peut mettre ça en parallèle avec ta vision d’investir pour son développement plutôt que sa survie, c’est-à-dire avoir une vision plus long terme que court terme ?
Ce passage de réflexion d’optimisation de son bien-être quotidien au long terme est difficile, parce que le monde dans lequel on vit est optimisé pour chercher la gratification court terme. Avec le pouvoir de cette technologie, on est entraîné malgré nous à rechercher des stimulations court terme. Cette boucle psychologique qui se crée a des effets sur tout le reste de notre vie. Par exemple, quand on fait des choix d’investissement, on va en priorité partir en vacances, plutôt que de placer cet argent quelque part pour optimiser ce qui va se passer dans 10 ans.
Les plus gros projets et les plus belles choses que vous allez construire sont des choses que vous allez faire pendant 10 ans, un peu tous les jours, et c’est sur 10 ans que ça fait la différence.
On est biberonné à cette espèce d’injonction à la vélocité, à la productivité, à la performance. Je le vois dans mes coachings. Les personnes que je coache ne sont pas capables, après une journée de travail, de juste être avec elles-mêmes, parce qu’il faut optimiser chaque minute de son temps.
Dans un podcast auquel j’ai participé, on m’a dit : « Ces moments où on a une idée sous la douche, c’est simplement parce que pour une fois, on ne nourrit pas de manière active notre cerveau. Et il a le temps de faire un truc naturel, dont il a besoin, qui est de réorganiser toutes les pièces du puzzle ». Je trouve que c’est important d’allonger ce temps et que chacun et chacune intègre dans son quotidien des temps pour ralentir, lâcher, s’oxygéner le cerveau, bouger notre corps, souffler.
Les moments où je suis le plus productif et où j’ai le plus d’idées, ce sont les moments où j’arrête, et ça déconstruit l’idée de vie pro contre vie perso. On est tout le temps le même cerveau, ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur du bureau, ça a une influence sur l’une ou l’autre partie de notre vie. C’est juste une question d’équilibre et de présence.
Est-ce que tu penses que le freelancing est fait pour tout le monde ?
Je pense que rien n’est fait pour tout le monde. C’est tellement complexe un être humain, qu’à mon sens il n’y a aucun contexte unique qui est parfait pour toutes les personnes. Ce qu’il faut faire, c’est montrer, surtout aux jeunes, la diversité de contextes possibles pour qu’on choisisse en conscience. Et c’est ça, pour moi, qu’il manque.
Il y a un autre sujet important pour moi, c’est le revenu universel. Aujourd’hui, un être humain est récompensé sociétalement quand il s’engage au jeu auquel on joue, de la réussite à la performance économique. Moi qui joue beaucoup aux jeux de société, je sais que le pire c’est de jouer avec quelqu’un qui n’a pas envie de jouer et qui se force à jouer parce qu’il le faut. Donc je me dis qu’on est capable des inventions technologiques les plus incroyables, mais on n’est pas capable de créer une société où toutes les personnes peuvent choisir à quel jeu elles ont envie de jouer. Je me demande si ce n’est pas légitime que des personnes aient envie de créer de la valeur autrement sans avoir ce truc de performance économique, soit pour sa survie, soit pour investir.
Est-ce qu’en tant que freelance tu “es” ton travail ?
Dans cette phrase, « quand on est indépendant, on est son travail, car on est la personne qui le produit », il y a des nuances. C’est à la fois vrai et bien, et pas vrai et une mauvaise chose. C’est une bonne chose, car quand on incarne pleinement dans son travail la personne qu’on est, personne ne peut nous comparer à qui que ce soit.
On est unique, indifférenciable et c’est ça qui a de la valeur pour nos clients.
Là où c’est moins bénéfique, c’est quand on s’identifie tellement à son travail, que ça crée des troubles psychologiques. Si on juge que mon travail n’est pas qualitatif, ça crée des jugements négatifs sur soi. C’est là où c’est important de créer de la distance entre moi, la personne et moi, ce que je produis.
C’est aussi ce qu’il manque dans ces méthodes de transmissions en ligne, c’est la nuance. A mon sens, rien n’est vrai à 100 % du temps, dans 100 % des cas. Chaque cas est unique, ce qu’il faut c’est cultiver cette capacité à sentir les nuances et à s’approprier les choses qu’on entend.
S’identifier à quelqu’un que l’on admire ou qui incarne nos valeurs, fait partie de notre développement humain. S’inspirer de quelqu’un, puis prendre un chemin différent, c’est ce qu’on a tous fait avec nos parents, car c’est le seul repère que l’on a de ce que c’est d’être adulte. C’est pour ça que, dans un écovillage, les enfants ont une diversité d’exemples d’adultes et c’est plus sain pour leur développement. Et on peut appliquer au monde du travail, on s’inspire de nos managers, de nos rencontres et on évolue grâce à cela pour trouver son propre chemin.
Est-ce que tu vois une différence sur le rapport au travail en Angleterre et en France ?
Peut-être. J’ai l’impression de m’être construit sur une ouverture de deux mondes distincts. A l’école, j’étais l’étranger qui apprenait la langue et quand je rentrais chez moi, je parlais anglais. Ce qui fait que je me suis construit avec ce jonglage entre plusieurs réalités.
Je pense que, quand on grandit dans différents pays, le fait d’être « l’autre » permet de s’ouvrir plus facilement. Et peut-être que ça contribue au fait que je sois très ouvert à plein de sujets divers et variés et que j’adore la mixité entre ces projets. Et c’est ce que j’essaye de transmettre au quotidien.
Le fait de naviguer entre deux mondes m’incite davantage à tisser des liens entre ces mondes qui seraient séparés, mais qui en réalité ont des points communs.