Les avocats et juristes appellent cela le pro bono alors que de l’autre côté, les indépendants sont plus habitués à utiliser un terme un chouïa moins fleuri : exploitation. Car voilà, à la réponse à la question “Quand dois-je offrir mes services gratuitement à un client ?”, on imagine que beaucoup seraient prêts à répondre par un laconique et glaçant “Jamais”. 

Et dans 99,9% des cas, c’est effectivement la bonne réponse.

Mais il y a des, enfin une exception, et l’idée mérite vraiment d’être étudiée, puisque parfois, elle peut faire sens.

Bien sur, avant cela il faut arriver à se détacher de la vision d’horreur de la tante qui a besoin d’un logo pour son projet de dropshipping, du cousin qui voudrait bien une app mobile “d’ici après-demain” ou du futur beau-frère qui souhaiterait éviter de payer un photographe pour son mariage. Le fameux : 

"Je sais que tu sais faire X, est-ce que tu peux m’aider ? …Ah il faut payer ?”

Mais au-delà des combines familiales, il y a là un vrai sujet qui peut -finalement- être à l’origine de nouvelles opportunités commerciales, de connexions inattendues, mais aussi d’un renouvellement inestimable et inespéré de son environnement et de sa confiance en soi.

Alors accrochez-vous car nous allons rentrer dans l'interdit en vous indiquant comment, en tant que travailleur indépendant, intégrer par-ci par là quelques missions gratuites dans votre planning peut faire toute la différence.

(Mais aussi potentiellement ne rien changer)

Pour le bien public

Une seconde, revenons un peu en arrière. 

Ici, nous allons parler de travail en pro bono (pour pro bono publico soit “pour le bien public”) : le fait de travailler gratuitement -ou pour une somme symbolique- pour une cause, une connaissance, ou un projet.

Travailler gratuitement pour soi, via un projet personnel ou lorsque l’on débute dans le freelancing (par exemple pour fournir son portfolio), c’est une toute autre histoire, une toute autre logique, et un tout autre état d’esprit.

Là, nous nous attardons sur la sélection de clients à accompagner via une démarche non lucrative, ou encore le choix de participer à différents projets qui ne seront pas rémunérateurs - en argent du moins.

Un excellent moyen pour se familiariser avec l’idée est de visionner la vidéo de Philip VanDusen sur le sujet : 

À l’origine, le pro bono était avant tout affilié au monde judiciaire, même si historiquement, il a toujours existé. Techniquement, un avocat qui le pratique va accepter quelques cas qu’il n’aurait originellement jamais considérés, venant de clients peu solvables ou représentant des causes “nobles” comme défendre une association.

Dans le monde du freelancing, c’est une démarche qui est en train d’exploser, surtout outre-atlantique auprès des indépendants les plus influents. C’est pourquoi Philip VanDusen (de la vidéo ci-dessus) investit 10% de son temps à travailler sur des projets 100% bénévoles. Et il n’est pas le seul.

Le plus important étant de bien s’organiser avant de commencer.

Pro bono & freelancing : les questions à obligatoirement se poser

Impossible de se lancer en aveugle, sinon, on retourne immédiatement à la case “faire le montage de la compilation Fortnite de son neveu une fois pour dépanner… puis deux fois par semaine pendant 3 ans”. Car si tout travail ne mérite pas forcément salaire, toute activité mérite planification et anticipation. Alors il est temps de se poser les bonnes questions :

Est-ce une cause qui me tient à cœur ?

Travailler pour peanuts n’est jamais fun… sauf quand la mission est réellement fun, ou au moins, a du sens. Un sens qui résonne chez soi.

Dans cette situation, on mise donc sur l'égoïsme le plus total : si vous êtes un illustrateur qui adore les animaux et que vous tombez sur un refuge dans le besoin souhaitant pimper ses réseaux sociaux, foncez. Même son de cloche pour vos convictions, sociales, politiques, environnementales ou qu’importe. L’objectif n’est pas de simplement se sentir utile, c’est d'être utile.

Et à la question “Où trouver des missions bénévoles ?”, la plupart du temps, c’est les missions qui trouvent le freelance… mais il est toujours pertinent de jeter un œil au sein des différentes communautés de travailleurs indépendants, sur les réseaux sociaux, contacter des associations… On peut également directement proposer ses services, ou collaborer avec d’autres TNS, par échange de services et de compétences.

Est ce que cela peut m'aider ?

Sans rémunération financière, votre rétribution doit être différente, mais elle doit toujours exister. Il peut s’agir d’un accomplissement personnel certes, une sorte d’auto tape dans le dos pour avoir aidé quelqu’un dans le besoin, mais cela peut aussi vous servir professionnellement.

Les missions bénévoles vous permettent de nouer de nouveaux liens, de prendre de l’expérience sur de nouveaux domaines, de nouvelles industries. Tout ce qui pourra vous aider, plus tard, pour dénicher de nouvelles opportunités, payantes cette fois-ci.

Ai-je les moyens et le temps disponible ?

Encore une fois, ce type d’expérimentation a du sens une fois que vous êtes bien établi en tant qu’indépendant. C’est lorsque les périodes sont fastes, que votre prospection est bien rodée, que les missions sont régulières au point de pouvoir anticiper les prochains mois… c’est seulement à ce moment-là qu'il devient légitime de donner un peu de son temps pour des causes justes. Pas avant.

Quelles sont les limites à fixer ?

Une mission pro bono reste une mission. Elle doit être considérée avec le sérieux applicable aux projets “normaux”, et ce, par toutes les parties. Sinon, cela devient vite une arlésienne, ou une sous-opportunité qui n’est pas traité avec les standards de qualité habituels.

Pour contrer ce réflexe, il est donc important de fixer certaines limites, précises et relativement classiques, comme : 

  • Une deadline claire, précise et indiscutable
  • Un scope, une structure ou un contrat détaillé qui encadre le projet et évite les débordements ou les demandes de dernière minute
  • Un vrai suivi avec un interlocuteur dédié et concerné
  • etc…

Le but étant d’encadrer la mission de la façon la plus professionnelle possible.

Charge mentale changement d’horizon

Il existe un autre domaine qui reste, toujours aujourd’hui, peu considéré par bon nombre d’indépendants, malgré son impact quotidien dans notre vie à la fois professionnelle et personnelle : il s’agit de la charge mentale

Avec un métier ultra responsabilisant, on a forcément tendance à se pousser dans ses derniers retranchements… en pourchassant la productivité coûte que coûte. Une attitude qui peut s’avérer auto-destructrice sur le long terme, car dans cette situation, l’épuisement mental ne progresse qu’à petit feu, causant d’incroyables dégâts qui se révèlent invisibles jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

La preuve, en 2017 déjà, Mutualités Libres observait que les freelances n’étaient pas à immunisés contre les burn-outs, pire, ils représentaient même une tranche conséquente des concernés puisqu’un indépendant sur 5 montrait à l’époque des signes d’exhaustion professionnelle. Un contexte alarmant qui, pourtant, ne génère aujourd’hui que peu d’émoi : les travailleurs non salariés étant encore peu représentés au sein des considérations du grand public sur la qualité de vie au travail…

Sur ce cas de figure, le bénévolat peut donc permettre aux freelances de changer d’air, en acceptant des missions qui sortent de l’ordinaire. Une technique qui permet de se ressourcer dans le cadre de son travail, mais aussi de découvrir de potentielles nouvelles passions, technologies ou domaines intéressants à creuser.

Dans une interview pour Freebe, Pierre Glory, Sound Designer basé à Nantes explique par exemple :

Pour être franc, les projets où je m’éclate le plus sont des projets bénévoles. En général, on me donne la possibilité d’être plus créatif, plus artistique.

Il est aussi possible d’utiliser ce type de mission pour remettre du sens et de l’impact dans son quotidien. Travailler pour une cause alignée avec ses convictions, se sentir utile, utiliser ses compétences pour faire avancer quelque chose de positif.

Donc oui, en définissant un cadre précis, en sélectionnant avec soin ses clients, en considérant ce travail gratuit comme un vrai travail, et surtout, en se s'autorisant à kiffer un projet non rémunérateur mais passionnant, il est possible de faire cohabiter épanouissement professionnel et bénévolat.

Le pro bono devient ainsi une part de notre personnalité de freelance, et paradoxalement, nous aide à nous reconnecter avec nous même… tout en nous permettant de nous ouvrir à l’autre. Celui que l’on aurait jamais rencontré ou considéré en temps normal.